Compte-rendu Webinaire «L’Europe : quels leviers de lutte contre les inégalités sociales ?»

Mardi 15 septembre 2020

Dans le cadre du temps fort proposé par « Cosmopolis Décryptages – Les inégalités » qui se déroulent du 14 septembre au 11 octobre dans divers lieux nantais, Europa Nantes et les cinq Centres d’Information Europe Direct de la région des Pays de la Loire, se sont associés pour proposer un webinaire sur le thème des inégalités sociales en Europe.

Cette visioconférence a permis un échange entre Pierre Larrouturou, membre du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, et Sofia Fernandes, directrice de l’Académie Notre Europe et chercheuse senior sur les questions économiques et sociales à l’Institut Jacques Delors.

Les échanges ont été animés par Olivier Brunet, conférencier du réseau Team Europe, et Cécile Harcouët, directrice d’Europa Nantes et le CIED de Loire Atlantique, qui ont également relayés les questions des participants.

Pour commencer, Olivier Brunet donne quelques éléments de cadrage, le débat sera centré sur le volet européen et non pas au niveau mondial ni le niveau national. De plus il convient de remarquer que le Coronavirus a aggravé les inégalités sociales de manière manifeste.

  1. Analyse des inégalités sociales en Europe

Sofia Fernandes aborde pour commencer les grandes tendances à prendre en considération par le prisme de différents indicateurs.

On voit une hausse des inégalités dans la répartition des revenus partout dans le monde au cours des 40 dernières années mais même si les inégalités ont augmenté partout en Europe elles ont augmenté moins fortement et rapidement comparé aux États-Unis par exemple.

Sofia Fernandes rappelle aussi qu’au sein de l’Union européenne, il y a une forte disparité de revenus entre les pays, disparité qui montre que cette hausse des inégalités est causée par des spécificités nationales et que la réponse ne peut pas être seulement européenne et doit être adaptée et portée par les États membres.

Elle souligne aussi l’inégalité des chances (avec comme indicateur la variation des performances expliquée par le statut socio-économique des personnes scolarisées), en France par exemple le statut socio-économique des parents pèse plus sur les performances des étudiants que dans d’autres pays comme la Suède, ces inégalités doivent donc aussi être combattues.

Pour revenir sur l’impact de la crise sanitaire actuelle, Sofia Fernandes mentionne qu’Oxfam a alerté sur le fait que la crise pourrait augmenter le nombre de personnes précaires d’environ 6 millions dans l’Union européenne.

De plus on peut remarquer que le chômage augmente malgré les nombreuses mesures mises en place en Europe, notamment les mesures de soutien au chômage partiel.

Selon Sofia Fernandes, il faut garder à l’esprit que les politiques sociales varient selon les pays européens et qu’avec ces réalités nationales différentes il faut des actions au niveau national néanmoins cela ne dédouane pas l’Union européenne.

Pour rappel, l’Union européenne a des compétences limitées en matière sociale, elle doit compléter, soutenir et coordonner l’action nationale.

Pierre Larrouturou rappelle que l’Europe est envié par beaucoup de gens, notamment pour la santé, néanmoins il y a aussi un niveau de précarité indigne qui semple empirer, l’UE s’est construit avec des valeurs notamment de dignité humaine, on ne peut donc pas accepter ces inégalités compte tenu de la richesse de notre zone économique.

Il énumère les problématiques cruciales et multiples liées aux inégalités sociales, la question de l’accès au travail, la question de l’échec scolaire, la question du logement entre autres.

Pour revenir sur la crise économique de 2009, il mentionne le discours de la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen auprès des députés européens en juillet 2019 où elle a rappelé qu’elle avait été ministre du travail en Allemagne lors de la crise de 2009 et qu’elle avait prôné à l’époque le « travailler moins pour garder son travail » (Kurzarbeit en allemand) avec comme principe en cas de crise de garder les salariés et de baisser le temps de travail et les salaires. La récession a été deux fois plus grave en Allemagne qu’en France mais le chômage a augmenté beaucoup plus lentement en Allemagne (six fois moins vite) grâce à ces mesures. Pour se protéger de futures crises économiques (sans anticiper la crise sanitaire bien sûr), Ursula von der Leyen souhaitait que l’Europe aide les états membres à mettre en place des mesures de protection de l’emploi. 

Le cas de l’Allemagne lors de la dernière crise étant assez spécifique et  compte tenu de la gravité de la crise actuelle, Pierre Larrouturou pense qu’aucun pays ne peut mettre en place tout seul des mesures durables.

Pierre Larrouturou se bat donc pour que l’Europe ait des ressources propres et que l’Europe puisse aider les États membres de sorte que le licenciement soit l’exception, et pour que les entreprises gardent tous les salariés avec un salaire réduit lors d’une crise et que l’Europe arrive en compensation pour financer ces dispositifs.

Il explique qu’il faut , dans un premier temps, éviter que les salariés tombent au chômage, dans un deuxième temps, éviter que les chômeurs tombent dans la pauvreté et, dans un troisième temps, que les entreprises qui se portent bien réduisent le temps de travail pour pouvoir créer des emplois.

Selon Pierre Larrouturou, le scénario le plus probable serait la flambée du chômage, un cycle de récessions et la montée de l’extrême droite dans certains pays, et un grand manque de moyens pour la lutte contre le changement climatique donc une catastrophe climatique, selon lui vu l’inertie du système ce scénario est tout à fait possible.

Néanmoins il insiste sur l’enjeu fondamental du vote du budget européen et des ressources propres et qu’il faut se battre pour avoir plus de moyens pour l’emploi, la recherche, la biodiversité entre autres.

  • Les réponses européennes avec le plan de relance

Sur la question de l’articulation des compétences nationales et européennes, Sofia Fernandes rappelle que malgré ces compétences limitées en matière sociale, l’Union européenne peut agir et le fait. L’Europe sociale existe mais est insuffisante, il y a des outils, des directives, des initiatives  et des engagements politiques (par exemple la Garantie Jeunes qui vient d’être renouvelée). Elle énumère notamment le Fonds Social Européen, la formation des travailleurs, le Fonds européen d’aide aux plus démunis, le Fonds européen d’ajustement aux transitions et prochainement le Fonds pour la transition juste. Ces mesures ne sont pas toujours connues par les citoyens et en plus elles sont limitées. On a maintenant besoin d’un changement de paradigme, elle remarque d’ailleurs qu’avec l’arrivée de Jean-Claude Juncker, l’ancien Président de la Commission européenne, il y a eu un tournant dans les politiques européennes, il voulait une Europe sociale triple A et Ursula von der Leyen semble avoir cette même volonté.

Sofia Fernandes rappelle aussi qu’en 2017 a été adopté le Socle européen des droits sociaux, qui inclut 20 droits et principes pour les citoyens en Europe (égalité des chances, éducation).

Au niveau européen, on met aussi en place des initiatives de recommandations et de monitoring (surveillance) pour garantir que les États membres sont en mesure d’offrir ces droits à leurs citoyens.

Les financements européens qui doivent être mis au service de ces objectifs

Selon elle, le Socle européen des droits sociaux a besoin d’être concrétisé en initiatives réelles, cela a été fait en partie par la précédente Commission, mais même si l’Europe doit faire plus, il n’est pas envisageable d’aller vers un transfert de compétences au niveau européen car il y a des traditions nationales.

Sofia Fernandes ne pense pas que l’Europe soit plus efficace que les États membres en terme de lutte contre les inégalités sociales mais l’Europe peut et doit renforcer l’efficacité des actions nationales.

Elle rappelle que l’Union européenne doit aller vers une convergence vers le haut vers l’amélioration du niveau de vie des citoyens européens mais pas une harmonisation.

Pierre Larrouturou soutient qu’il faut accélérer en matière des politiques vu la gravité de la crise sociale.

Il va dans le sens de Sofia Fernandes, selon lui en effet l’Union européenne ne part pas de zéro néanmoins n’est pas la hauteur, il faut qu’on invente mieux dans les mois qui viennent.

Pierre Larrouturou  rappelle qu’en 2003, il a rédigé avec Jacques Delors, José Bové, Bronislaw Geremek et Michel Rocard, un Traité de l’Europe sociale avec 5 critères sociaux. Ils se sont inspirés des 5 critères de Maastricht qui ont donné lieu à une convergence avec des sanctions en cas de non-respect des critères, qui ont permis de diminuer grandement l’inflation en 20 ans parce qu’il y avait des critères et qu’on les faisait respecter. Pierre Larrouturou regrette que les critères sociaux du Traité pour l’Europe sociale n’aient pas pu se concrétiser et que l’Europe ne soit pas plus ambitieuse en matière sociale.

Il insiste sur le fait qu’il n’est pas trop tard, que les traités peuvent être modifiés, il souligne qu’il faut converger vers le haut et il faut mettre en place des critères contraignants de progrès social ainsi que des moyens financiers et échanger sur les bonnes pratiques nationales pour atteindre ces objectifs.

 Selon Pierre Larrouturou, l’Europe appauvrit en accélérant la concurrence fiscale en montrant l’évolution de l’impôt sur les sociétés en Europe (qui était à 45% et qui est maintenant à 20% alors qu’aux États-Unis l’impôt est resté à 38%) ainsi que l’augmentation des dividendes.

Pierre Larrouturou propose donc un petit impôt (5% maximum) qui pourrait d’ailleurs dépendre du bilan carbone et ne serait pas pour les petites entreprises et propose aussi la taxe sur les transitions financières en opposant la TVA sur les produits de consommation courante avec l’absence de taxation sur les marchés financiers. Selon lui, il faudrait taxer les marchés financiers pour avancer.

En tant que rapporteur du budget, il ne pourra pas en conscience voter le prochain budget si on ne trouve pas 50 milliards de plus chaque année pour le climat et l’emploi en taxant les marchés financiers. Selon lui, il ne s’agit pas de tuer les banquiers mais de faire payer tout le monde.

Pierre Larrouturou rappelle qu’aucun pays ne pourra trouver tout seul assez de ressources pour le climat pour l’emploi, mais au niveau européen il est possible d’aller plus loin, il propose d’ailleurs d’utiliser autrement l’argent de la Banque Centrale Européenne et que cet argent aille via la Banque Européenne d’Investissement dans une Banque du Climat qui proposera des prêts à taux zéro pour de l’isolation par exemple.

Pierre Larrouturou insiste sur la possibilité d’utiliser la taxation des marchés financiers pour financer en partie l’isolation, selon lui l’isolation pourra à la fois « muscler » l’économie mais aussi faire gagner du pouvoir d’achat aux citoyens.

Sofia Fernandes revient sur le Fonds Social Européen (FSE) et le Garantie Jeunes ainsi que le volet social du Green Deal (Pacte Vert).

Concernant la Garantie Jeunes, elle attire l’attention sur la  proposition de la Commission européenne de juillet dernier « Pont vers l’emploi » avec de nouvelles initiatives pour soutenir l’emploi des jeunes.

Concernant le FSE, selon Sofia Fernandes  son budget n’est pas suffisant mais parce que le budget européen n’est pas suffisant non plus, on aurait besoin de nouvelles ressources, si on veut faire plus de choses ensemble il faut avoir plus de moyens.

Le FSE devait bénéficier de 100 milliards d’Euros sur 7 ans mais en juillet dernier le Conseil européen l’a diminué d’environ  10%, Sofia Fernandes  regrette donc que dans le contexte actuelle que ce soit les dépenses sociales qui soient réduites. De plus le Fonds pour la transition juste, le programme de recherche Horizon 2020 et le programme de mobilité Erasmus+ ont aussi vu leurs enveloppes diminuées par le Conseil.

Sofia Fernandes  ajoute que ce n’est pas définitif et que le Parlement européen peut encore négocier.

Concernant le Green Deal, l’Institut Jacques Delors a travaillé sur la transition écologique en insistant pour qu’elle soit juste, selon Sofia Fernandes c’est une question très importante car cette transition verte est impérative mais elle a des impacts notamment sur les travailleurs.

Le défi c’est d’accompagner les « perdants » de cette transition notamment dans la requalification professionnelles, faire en sorte que les nouveaux travailleurs et notamment les jeunes soient formés pour ces nouveaux emplois verts.

Le Green Deal a été proposé par la Commission avec le Fonds pour une transition juste qui pourra accompagner les régions qui seront le plus touchées par les restructurations liés à cette transition verte.

Sofia Fernandes souligne que le volet social de cette transition ne concerne pas que les travailleurs mais aura aussi des enjeux de santé notamment avec la réduction de la précarité énergétique.

Il faut que la transition soit une opportunité pour sortir de la précarité énergétique même si ça ne va pas de soi. Pour montrer que cette transition verte peut avoir un impact négatif plus important sur les ménages les plus modeste, elle reprend l’exemple du Portugal qui taxe l’électricité pour financer les énergies renouvelables ce qui pèse plus sur les foyers les plus précaires.

Concernant la rénovation des bâtiments, la Commission européenne va présenter prochainement une nouvelle mesure appelée « Renovation wave » (la vague Renovation) pour une amélioration de l’efficacité énergétique des maisons, il faudra porter attention à la rénovation énergétique aux logements sociaux et accorder en priorité des aides aux ménages les plus modestes.

Sofia Fernandes  revient sur le volet consommateur en affirmant que la transition énergétique implique que les consommateurs changent leurs habitudes de consommation et soient acteurs de la transition.

  • Quelques éléments de conclusion

Pierre Larrouturou rappelle que si on veut réussir le Green Deal (c’est-à-dire isoler toutes les maisons, développer les transports en commun, transformer l’agriculture, diviser par deux nos émissions de CO2 d’ici dix ans), la Commission européenne dit qu’il faut 600 milliards chaque année à partir de 2021 néanmoins il n’y a que 3 milliards par an pour le moment avec le Fonds de transition juste. Selon lui, c’est une honte et en conscience on va vers une catastrophe si l’Europe après avoir promis que le climat était sa priorité ne se donne pas les moyens financiers.

Sur la question de la dimension sociale, Pierre Larrouturou insiste sur le fait que l’Europe doit disposer de ressources européennes pérennes (par la taxe sur les transactions financières, la taxe sur les grandes entreprises, la taxe carbone aux frontières, …) ce qui pourra aider à lutter contre le changement climatique et notamment permettre de développer l’emploi.

Il rappelle que le nerf de la guerre c’est l’argent et que si on veut avancer il faut des financements pérennes pour ne pas tomber en récession dans quatre ans. Le Parlement européen va se battre pour avoir plus de ressources sans demander d’efforts aux citoyens européens ni aux budgets nationaux.

Pierre Larrouturou appelle donc les citoyens à faire pression da façon positive, fraternelle et non-violente pour que les chefs d’état acceptent ces ressources nouvelles et il insiste sur le fait que chaque citoyen peut aider à faire bouger les choses.

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