Ursula von der Leyen : un discours bilan programme – Par Michel Ferron

Article publié le 15 septembre sur leglob-journal : https://leglob-journal.fr/

Ce mercredi 12 septembre 2023, comme chaque année à la même époque, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, a adressé à l’ensemble des députés européens réunis au Parlement de Strasbourg son Discours sur l’état de l’UE. Cette fois, sa déclaration a revêtu un relief particulier, à moins de dix mois des prochaines élections européennes du 9 juin 2024 (ce qu’elle a appelé « le cap des prochains 300 jours »). Verbatim et analyse.

Par Michel Ferron

En propos liminaire, Ursula von der Leyen, en bonne européenne, a exprimé son volontarisme pour rappeler « la vocation fondamentale de l’Europe à répondre aux défis de l’Histoire dans un monde d’incertitudes », en énumérant les grandes priorités de la politique de l’UE : Pacte Vert (« secteur
clé de l’économie »), transition numérique, Next Generation EU (v. les 700 milliards de l’ex-plan de relance post-Covid et la politique vaccinale), parité homme-femme. … « L’audace et l’union sont toujours des facteurs de progrès » A propos de la récente canicule (notamment en Grèce et en Espagne), elle a mentionné la loi-climat à l’horizon 2050, la production d’hydrogène propre (plus importante qu’aux USA).

Pour atteindre tous ces objectifs, les ménages des pays-membres devront être équipés en vue de permettre la décarbonation de l’industrie.

Au passage, mise en garde très ferme adressée à la Chine, pour sa politique de subventions aux voitures électriques, instaurant par contrecoup une concurrence économique déloyale avec l’UE … sans exclure la poursuite d‘un dialogue avec Pékin (annonce d’un prochain sommet UE-Chine).

Abandonnant le secteur économique, la Présidente exalte la diversité culturelle (qui renforce notre sentiment d’appartenance) de l’Europe des Régions et rappelle l’existence d’une biodiversité unique en Europe (près de 6500 espèces protégées).

Hommage appuyé aux agriculteurs, dans leur mission d’approvisionnement alimentaire, tout en assurant la survie des espèces. Un « dialogue stratégique » (sic ?) devra s’intensier sur l’avenir de l’agriculture, tenant compte de leur activité de production et de leur action dans la protection de la nature.

Abordant l’avenir des entreprises, la Présidente évoque la pénurie de main d’œuvre (avec le rappel du lancement, il y a 40 ans, par Jacques Delors de la convention du Pacte social européen), la lutte contre l’infation (baisse des prix de l’énergie et résistance au chantage de Poutine sur les factures du pétrole) ainsi que la facilitation de l’activité économique (annonce de la nomination d’un représentant des PME dépendant directement de la Présidence de la Commission).

Est mentionné également l’accès aux technologies modernes (création d’une plateforme STEP), en même temps que la défense des citoyens immergés dans l’univers numérique et la mise en place d’une procédure de veille éclairée, par rapport à l’avènement de l’intelligence artifcielle (à propos de laquelle est souhaitée la création d’une structure de type GIEC dans le domaine de l’énergie et du climat).

Sur le plan de la géopolitique, après une allusion aux dernières catastrophes naturelles (« Au Maroc et en Libye, notre cœur saigne … » Ursula von der Leyem revient sur la nécessité impérative de l’union pour contrer les menaces d’agressions contre l’Europe, que laisse peser le retour à la logique des blocs : « Si nous sommes unis à l’intérieur, personne ne pourra de l’extérieur nous fracturer. » .

Cite comme exemplaire la réalisation du corridor économique établi à New-Delhi (Inde – Arabie – Europe), relié par de puissantes connexions de communication.

Passant à la question des migrations, la Présidente arme « la migration doit être gérée », à l’aide d’un nouveau pacte migratoire reposant sur une solidarité entre les nations et le respect de l’humanité des personnes.(global gateway) Merci à la Bulgarie et à la Roumanie pour leurs bonnes pratiques d’échanges, alliant effcacité et compassion dans la prise de décisions. Lutte impitoyable contre les passeurs et toutes les pratiques de traite des êtres humains.

« Une longue séquence émotion »

L’écrivaine ukrainienne Victorina Amelina en 2015 –

Image Wikipédia : https://fr.wikipedia.or /wiki/Victoria_Amelina

Le chapitre du soutien à l’Ukraine sera abordé au travers d’une longue séquence émotion, donnant de la « chair » au discours : Ursula évoque l’histoire de Victorina Amelina, écrivaine, se rendant à Prague pour y abriter son fils [ « N’aie plus peur, lui dit-elle, car nous sommes ici chez nous ! »], avant d’être assassinée lors de son retour en Ukraine par un missile balistique russe. Saluant Hecto, écrivain colombien, ancien ami de Victorina, présent dans l’hémicycle, elle déclenche des salves d’applaudissements dans l’assistance.
Quatre millions d’Ukrainiens sont actuellement réfugiés à l’intérieur de l’UE :
« L’Union a donc répondu à l’appel de l’Histoire … ».

Le dernier thème abordé longuement (plus de cinq minutes sur la totalité du discours) sera celui de l’ élargissement de l’UE (qui compte actuellement plus de 500 millions d’habitants).

S’affranchissant de tous les tabous habituels sur ce sujet, elle évoque le futur possible d’une Europe à trente ou plus … D’ores et déjà elle annonce l’élargissement des rapports sur l’Etat de droit aux pays en attente d’une intégration à l’UE. Elle rappelle le grand élargissement d’il y a 20 ans, qui fut qualifié de « journée de la bienvenue » et joua le rôle d’un « catalyseur d’énergies » « Il est temps pour l’Europe de voir grand et d’écrire son propre destin .»

« En conclusion, a-t-elle déclaré, le moment est venu de montrer à la jeune génération que nous sommes capables de construire un continent, où vous pouvez être qui vous êtes, aimer qui vous voulez et vous fixer autant d’objectifs que vous le souhaitez » …

Proposition de quelques éléments d’analyse :

Quelques heures après le prononcé de ce discours, on peut risquer, à chaud, diverses remarques d’appréciation. Ce mode de déclaration est inspiré de la tradition américaine du Discours sur l’Etat de l’Union, délivré chaque année par le Président des USA devant les Chambres des Représentants et du Sénat, réunis en Congrès au Capitole de Washington. Dans les deux cas, il s’agit bien, sur la base d’un bilan, de définir un cap pour l’avenir.

Un discours de cette ampleur et d’une telle portée obéit forcément à des postures rhétoriques obligées. Cependant, on peut noter ici la sobriété du propos d’ Ursula von der Leyen, au service d’affirmations claires qui engagent la communauté européenne.

On pourra objecter qu’un tel plaidoyer pro domo, naturel et attendu de la part de la plus haute responsable de l’Union n’échappe pas à une simple énumération de principes de portée générale. On a en effet longtemps déploré que la phraséologie des prises de parole européennes se cantonnait dans des discours abstraits, synonymes d’impuissance. Pour autant, notons qu’à nouveau, sans effet de manche spectaculaire, la Présidente de la Commission européenne, à moins d’un an de prochaines élections démocratiques, dessine les contours d’un avenir proche, rempli d’enjeux décisifs.

Tirant les enseignements des deux dernières crises majeures (Covid et guerre russo-ukrainienne), Ursula von der Leyen exalte les solidarités que l’Union européenne a permis d’établir entre les peuples sur ces deux terrains.

En conclusion, on ne peut donc que se réjouir de réentendre la célébration tranquille et déterminée d’autres valeurs essentielles qui restent attachées à la construction de la communauté européenne : respect de l’Etat de droit et de la liberté démocratique, l’idéal de fraternité et de la lutte contre les inégalités…

Vive l’Europe !

*Michel Ferron

– ancien Président et administrateur actuel de la Maison de l’Europe en Mayenne

– secrétaire général de la Fédération Française des Maisons de l’Europe